conjuguer vie privée et vie sociale
à domicile et en résidences


LE RESPECTAGE

Un vocable neuf pour une prise de conscience urgente


Au plus près du Larousse, sans attendre l’Académie, osons cette définition :

Respectâge n.m. (lat.re, égard et aetas, âge). Sentiment qui porte à traiter quelqu’un avec de grands égards, quelle que soit la durée écoulée depuis sa naissance, donc sans discrimination d’âge.

Qui, aujourd’hui, oserait affirmer en public que vieillir équivaut à une perte de valeur? Et pourtant… l’âgisme imprègne notre société. En avons-nous conscience ? Non. Est-ce grave ? Oui. Parce que nous en souffrons tous, jeunes et vieux confondus. Parce que c’est une violence, une déviance, une injustice. Et d’ailleurs savons-nous vraiment ce que c’est que l’âgisme ? Et comment le dépasser ? Comment en sortir ?

Parmi tous les racismes – c’en est un – l’âgisme a ceci de particulier que les dominants, jeunes aujourd’hui, seront inexorablement des dominés demain, vieux à leur tour. Sauf à mourir avant d’avoir vécu le plein épanouissement de leur vieillesse.

Mais comme les vieux, les jeunes souffrent de l’âgisme. Ils ont par exemple les plus grandes difficultés pour entrer sur le marché du travail, et souvent même bien des soucis pour financer leurs études quand leurs parents sont dans l’incapacité de les soutenir.

Alors trop vieux, trop jeunes ? Et d’abord à quel âge est-on vieux ? Inanité de ces questions, à l’opposé d’une évidence : qui méprise ou dévalorise les vieux et la vieillesse ne s’aime pas soi-même dans sa propre évolution.

A l’inverse, qui honore les vieux, sans oublier d’honorer les jeunes, honore l’avenir de la société toute entière donc notre avenir à tous. Sagesse que nous devons, collectivement, traduire dans nos choix concrets de société. Une des voies du bonheur ? D’une société harmonieuse ? Certainement.

C’est ce que nous appelons le respectâge

L’AGISME EST DELETERE POUR LES VIEUX : EXEMPLES

Les vieux ne sont appréciés que si l’on peut encore les qualifier de « jeunes ». Ainsi Line Renaud, Edgard Morin et certains autres seniors parce qu’ils vont bien … ou semblent aller bien. Mais il y a tous ces « vieux vieux » qu’on ne peut pas considérer comme s’ils étaient jeunes. Ceux-là sont encore moins respectés, plus discriminés que les autres.

Pendant la crise Covid, la parole des personnes âgées n’a pas été entendue ce qui a conduit à des logiques hyper sécuritaires inadaptées.

Le langage même, le vocabulaire, utilisés sont des vecteurs puissants de maintien de la domination âgiste ; Le terme « dépendant » par exemple, sur-utilisé, sert à expliquer que les personnes âgées vulnérables ne peuvent pas être des citoyens comme les autres, dépendants qu’ils sont de leur famille ou de professionnels. Le mot « autonomie » ne sert que pour évoquer la perte. Grave erreur, chacun pouvant rester autonome à sa façon, l’autonomie des uns n’étant pas l’autonomie des autres. Ou alors l’autonomie des uns vaut moins que l’autonomie des autres. C’est cela la discrimination.

Quant au quotidien, force est de constater que notre société traite fort mal les personnes âgées qui ont besoin d’aide. Elles sont infantilisées, leur parole n’est pas écoutée, leurs désirs sont sous-estimés et ramenés aux seuls besoins physiques : se lever, se laver, manger, éliminer, et vivre dans un intérieur propre. Leurs demandes d’autonomie, de liberté et de respect sont ignorées. Parfois même ces personnes sont enfermées, contre leur gré.

En établissement comme à domicile, en dépit de toutes les analyses convergentes, les vieilles personnes ne sont accompagnées qu’avec des moyens insuffisants et les salariés qui travaillent à leurs côtés sont comme eux dévalorisés, broyés qu’ils sont par une logique de rendement totalement inadaptée, infernale et même avilissante. Ces salariés savent bien qu’ils manquent de temps, y compris pour les besognes les plus physiques, qu’ils n’arrivent pas à remplir, de façon humaine et respectueuse, leurs tâches « taylorisées » parce que le système mis en place ne le permet tout simplement pas. Ils savent combien il est beau et respectable d’aider des hommes et des femmes à vivre le mieux possible mais aussi combien le système réduit, au strict minimum, les moyens des établissements et des services qui les emploient.

Tout le contraire en somme du respectâge

NOS PEURS, A DEPASSER

Quoique souvent inconscientes, donc non reconnues, les peurs qui nous habitent imprègnent nos manières d’être, de parler et d’agir. Elles sous-tendent au quotidien les discriminations âgistes malfaisantes que nous dénonçons.

Il y a d’abord la peur du dominant de perdre cet état de dominant – de jeune donc – qui l’autorise à affirmer sans cesse son pouvoir sur les dominés, par le ton – autoritaire ou condescendant, toujours dévalorisant – par les mots employés, par des décisions inappropriées ou simplement des oublis révélateurs.

Et puis la peur de vieillir, liée à l’image très négative de la vieillesse qu’il nous faut restaurer. Restaurer par l’exemple d’abord, la prévention des maladies, la préservation de l’autonomie de chacun, la valorisation de la place des anciens, y compris les plus anciens, les plus fragiles et par là-même les plus discriminés, en tâchant le plus possible « d’entrelacer sans fin les générations par les liens de l’amitié, de l’intérêt, de la conversation » comme l’écrivait Pascal Brückner. Parce qu’il y a tant à découvrir encore, tant à dire et transmettre, même avec un corps changé, des capacités diminuées, la vieillesse peut être d’une très grande richesse, intérieure s’entend.

Enfin, il y a la peur de mourir, non la moindre, et surtout la peur de souffrir pour mourir. Brisons le tabou qui consiste à ne pas en parler, parlons-en au contraire, lisons et réfléchissons pour dédramatiser le sujet.

Nous parlons toujours, là, de respectâge

Pour comprendre l’urgence du sujet :

Le vieillissement en France s’accentue d’année en année

Selon l’INSE (Institut national de la statistique et des études économiques), les plus de 65 ans représentaient environ 20% de la population totale en 2020, contre 16% en 2000 et seulement 11% en 1975. En 2023, on compte en France 26% de personnes de plus de 60 ans, soit un habitant sur quatre (chiffres Le Monde)

Cette évolution démographique s’explique surtout par le baby-boom, d’une part et par le ralentissement concomitant de la natalité depuis les années 1970 d’autre part. Ainsi, de 1946 à 1950, plus de 850 000 enfants par an étaient nés en France alors qu’en 2022, nous avons enregistré une forte baisse de natalité avec 19.000 naissances de moins que l’année précédente. Le taux de fécondité n’est plus aujourd’hui que de 1.8 enfant par femme.

Devant cette évolution inéluctable, nous espérons, avec Marie de Hennezel en « une vraie volonté politique d’agir concrètement et de manière cohérente, dans la durée, sur la prévention, l’anticipation et le financement nécessaire » … « pour repenser entièrement l’adaptation de la société au vieillissement de la population ». Nous sommes prêts à y contribuer. C’est tout l’intérêt – et l’importance – de la réflexion ici menée.

LES SOLUTIONS : DES CHOIX INDIVIDUELS ET SOCIETAUX

D’abord refuser toute séparation jeunes – vieux et toute catégorisation. Et reconnaître l’autre comme notre semblable, un citoyen à part entière. C’est la Fraternité (la Sororité) de notre belle devise nationale.

Il importe également au plus haut point de nous préoccuper de la situation de nos jeunes – études, revenus, équilibre général et psychique, – dans la solidarité, mais jamais en opposant jeunes et vieux.

Nous devons reconnaître la citoyenneté et la parole des plus anciens d’entre nous, mêmes celles des plus discriminés en raison de leur grand âge et de leur fragilité. C’est l’esprit de la démarche de « Citoyennage », Association devenue Nationale désormais, représentant les personnes âgées aidées, à domicile comme en établissement.

La liberté de choix et de consentement doit être reconnue à chacun et il importe de respecter ce choix, comme le droit au risque, pour les plus jeunes comme pour les plus vieux. Sans jamais plus de langage ou de vocabulaire âgiste dévalorisant ou rabaissant.

Dans une démarche républicaine, nous devons donner aux aînés vulnérables les moyens financiers et humains de vivre et de sauvegarder leur intégrité, à domicile ou en établissement.

La société doit à ses anciens de les entourer, de passer davantage de temps avec eux. D’où l’importance de recruter des professionnels nombreux, générant ainsi des milliers d’emplois dans un cercle vertueux où l’aide aux vieux donne de l’emploi aux jeunes. En revalorisant les conditions de travail et les salaires de ces derniers, tout spécialement ceux qui travaillent à domicile, oubliés depuis longtemps par les pouvoirs publics.

Enfin, travailler sur notre peur face à la mort et au vieillissement est une nécessité. Toute l’histoire de la pensée humaine peut nous y aider, spirituelle, philosophique ou psychologique. Et bien des ouvrages existent, très accessibles, pour nous y aider. Ceux de la psychologue Marie de Hennezel par exemple qui a longtemps exercé en soins palliatifs auprès de mourants. Ou encore celui, tout récent, du Dr Grange, Le Dernier Souffle, Accompagner la fin de vie, avec un avant-propos et une postface de Régis Debray.

Tour cela, c’est le respectâge

Au cours de notre vie, nous faisons tous l’expérience d’un corps qui change et de capacités physiques qui diminuent. Mais l’esprit et le cœur peuvent ne jamais cesser de croître et de s’enrichir. Rien ne nous empêche de rester curieux, tournés vers les autres, d’être vieux, d’être mieux, dans une société respectueuse de tous ses citoyens, jeunes et vieux, dans chaque période de leur vie.

Voilà qui devrait rassurer tous les jeunes qui ont tant de mal à accepter de vieillir.

Oui c’est bien dans le respectâge que nous voulons vivre

Isabelle HARTVIG

Vice-Présidente de AVEC (Association Vieillir Ensemble en Citoyens)

Administratrice de Citoyennage

Pascal Champvert

Président AD-PA
(Association des Directeurs au service des Personnes Agées)

Administrateur de AVEC

Directeur d’établissements et Services à domicile (94)